RÉGULER L’IA PAR LES RISQUES : FAIT-ON FAUSSE ROUTE ?

Le philosophe Mark Hunyadi, dans son livre La Tyrannie des modes de vie (Bord de l’eau, 2015), fait preuve d’une clairvoyance annonciatrice de ce que sera le Règlement européen sur l’intelligence artificielle adopté 10 ans plus tard.

Il met en garde contre une approche éthique des technologies par les risques et la sécurité. « C’est une autre approche éthique que je propose, centrée non sur l’évaluation des technologies en tant que telles, ni sur les risques éthiques qu’ils entraînent, mais sur les modes de vie qu’induit la généralisation de leur usage » (p. 18).

« À chaque nouvelle mise sur le marché, on se préoccupe de l’innocuité éthique de la nouvelle invention, on crée des commissions pour garantir le respect informatique de nos vies privées et on veille à ce que la sécurité des usagers finaux soit garantie. Mais voici le problème : alors même que les règlements éthiques bourgeonnent, on ne peut plus traiter de la question éthique fondamentale, de la question de savoir si c’est bien là le monde que nous voulons, un monde peuplé de robots.  […] Dans le respect éthique des droits individuels, on nous prépare un monde qui est peut-être éthiquement détestable. » (p.16)

Sur le mode de l’émergence, cette technologie s’impose à nous progressivement. On s’y accoutume sans remise en question. Nos modes de vie en sont modifiés sans jamais que cela ne fasse l’objet d’une discussion démocratique.

La promotion de la sécurité à plusieurs niveaux dans la société, tant dans le domaine alimentaire que dans le domaine du terrorisme, conduit à éluder la question de savoir si la sécurité fait partie de nos valeurs fondamentales.

Le principe de précaution agit quant à lui comme un blanchiment éthique : « [le principe de précaution] invite à appréhender les actions techniques à travers les seules lunettes du risque. […] Mais tout se passe, comme si, une fois chaussées, ces lunettes délivrées ensuite de la responsabilité d’évaluer les techniques et les modes de vie qu’elles entraînent à un autre critère que celui des risques. La crainte des risques nous aveugle en nous faisant croire que ceux-ci […] sont la seule chose qui importe » (p. 23).

Le règlement européen sur l’intelligence artificielle illustre parfaitement les propos du philosophe. Gestion des risques et principes de précaution s’y côtoient sous le regard bienveillant des droits fondamentaux de la personne. Bien que ces enjeux soient importants, en faire les notions centrales d’une éthique sociale conduit à éluder la question démocratique fondamentale  : celle de savoir si nous nous sommes questionnés collectivement sur les modes de vie et les conséquences sociales que ces technologies induisent.

Benjamin Lehaire

Envie d’en savoir plus, voir Mark HUNYADI, La tyrannie des modes de vie. Sur le paradoxe moral de notre temps, Lormont, Le bord de l’eau, 2015.

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