Cet article inaugure une série d’autres articles vous livrant mes impressions et commentaires sur mes lectures de l’été. Je commence par un livre qui n’a rien de juridique : La civilisation du poisson rouge. Petit traité sur le marché de l’attention de Bruno Patino. L’auteur est directeur éditorial d’Arte France et doyen de l’école de journalisme de Science Po. Relevons d’emblée que le titre peut donner l’impression qu’il s’agit d’un livre économique (référence au « marché »), mais ce n’est pas le cas, pas plus qu’on y traite de ce petit animal fort sympathique qu’est le poisson rouge. C’est une image pour nous sensibiliser à notre attention décroissante en raison des stimuli envoyés par les réseaux sociaux. Cette image du poisson rouge a réussi capter mon attention, et je ne le regrette pas.
Ce livre est d’abord un récit sur un phénomène que nous percevons tous sans être capables de nommer le mal que nous pressentons. C’est donc sur un ton journalistique très accessible, mais extrêmement sérieux que l’auteur nous plonge dans les arcanes des réseaux sociaux et dans ce Web de servitude volontaire, lui qui devait être une source d’émancipation pour l’humanité. Le livre fourmille d’anecdotes « chocs », tout en expliquant comment les géants du Web s’accaparent notre temps, nouvelle valeur économique. On y apprend par exemple pourquoi aucune page d’accueil YouTube ne se ressemble. Pourquoi la lutte pour une information de qualité est un enjeu de société, mais aussi pourquoi les théories du complot trouvent toutes leur page Web et comment nous sommes renforcés dans nos jugements par la soumission systématique à un contenu qui nous correspond.
Le livre est aussi celui d’un auteur qui partage sa frustration sur un idéal qu’il pensait contribuer à construire lors de l’arrivée d’Internet, mais qui, petit à petit, est devenu une économie de l’attention servant à manipuler nos cerveaux. L’auteur propose, dans le dernier chapitre, des pistes de solution pour construire un autre Internet.
Loin des clichés, loin du jugement moral sur les géants du Net, loin des poncifs habituels sur Internet, cet ouvrage, relativement bref avec 165 pages de lecture, nous initie aux tendances actuelles d’Internet et nous alerte.
Il intéressera tous les juristes sensibles à la règlementation sur Internet.
Ce livre montre que les congés payés, les fins de semaine et tout notre temps libre qui n’est pas consacré à la production d’une valeur marchande par le travail sont désormais mis à profit (au sens strict). L’objectif est que faire rentrer le marché dans la sphère privée. La consommation peut et doit se faire en tout temps. Les données collectées doivent valoriser la production de biens et de services. À mon sens le droit à la déconnexion adopté en France est le début d’une lutte plus grande pour la déconnexion en elle-même. La déconnexion des courriels professionnels pour un temps de repos bien mérité est une chose, mais la déconnexion d’Internet au sens large n’est pas aussi simple. Bientôt, se déconnecter sera un luxe si le droit ne discipline pas ce Farwest numérique où les données et le temps remplacent l’or.
Bonne lecture !
Benjamin Lehaire
Le livre est disponible ici.
Benjamin Lehaire 