La Cour suprême dit « non » à l’interrogatoire préalable de l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence

Dans un jugement rendu le 28 septembre 2017, la Cour suprême s’est prononcée sur la demande des victimes du cartel de l’essence qui désiraient entendre l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence. 

La Cour suprême formule le problème juridique qui lui est soumis de la manière suivante :

« La question qui se pose dans le présent pourvoi est celle de savoir si, aux termes de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, c. C -50  (« LRCE  »), l’État fédéral (« État ») est assujetti à l’obligation de participer à un interrogatoire préalable dans un litige auquel il n’est pas partie. Plus précisément, nous devons déterminer si l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence du gouvernement fédéral (« enquêteur-chef ») peut être contraint à un interrogatoire préalable en vertu des règles de procédure civile qui prévalent au Québec dans une situation où ni l’État ni l’enquêteur-chef ne sont parties au litige concerné. Dans l’affirmative, nous devons subséquemment déterminer si, en ordonnant l’interrogatoire préalable de l’enquêteur-chef, la Cour supérieure et la Cour d’appel ont erré au regard des principes qui régissent la procédure civile au Québec, dont celui de la proportionnalité » (par. 2).

Cette décision fait suite à l‘arrêt Jacques de la Cour suprême rendu en 2014 dans lequel la Cour devait se prononcer sur la divulgation des écoutes électroniques du Bureau de la concurrence sur le cartel de l’essence. La plus haute juridiction du pays avait décidé que :

« [86]  Lorsque les documents demandés sont les fruits d’une enquête pénale, le juge peut refuser d’en ordonner la communication s’il est convaincu que même des modalités très strictes de communication ne seraient pas suffisantes pour assurer notamment le bon déroulement des procédures pénales, la protection des droits des tiers ou, encore, le droit à un procès juste et équitable. Dans ces situations exceptionnelles, le juge aura donc le pouvoir de refuser une demande de communication en vertu de l’art. 402 C.p.c. si, pour la société, l’effet préjudiciable de cette communication est plus grand que ses avantages potentiels. Dans ce contexte, le seul fait qu’on plaide qu’il y a eu violation des droits fondamentaux dans l’obtention de la preuve demandée ne permet pas au juge de refuser d’en ordonner la communication. Dans un tel cas, ce n’est pas la communication mais bien l’admissibilité de la preuve qui pourra être contestée en vertu de l’art. 2858 C.c.Q., lequel précise qu’un tribunal « doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ».

[87]  En l’espèce, l’ordonnance de la juge Bélanger respecte complètement ces principes. Sa portée est limitée de manière à protéger le droit à la vie privée de l’ensemble des personnes dont les conversations ont été interceptées. Ces limites assurent également que la communication ne constitue pas une entrave au bon déroulement des procédures pénales et une atteinte au droit qu’ont les défendeurs toujours accusés au pénal de subir un procès juste et équitable. Finalement, rien n’indique que l’ordonnance crée un fardeau financier et administratif excessif pour le tiers visé en l’espèce ».

Dans la présente décision, la Cour conclut que :

« L’article 27  de la LRCE  ne constitue pas une dérogation claire et non équivoque à l’immunité que la common law reconnaît à l’État en matière d’interrogatoire préalable dans les litiges auxquels celui-ci n’est pas partie. En conséquence, en raison de cette immunité, l’État ne pouvait être assujetti ici à un interrogatoire préalable en vertu des règles de procédures civiles qui prévalent au Québec. En l’absence d’une intention claire et non équivoque du législateur, il n’appartient pas aux tribunaux d’écarter une règle reconnue de la common law en la matière. L’enquêteur-chef peut invoquer l’immunité de l’État en matière d’interrogatoire préalable et ainsi refuser d’être assujetti à l’interrogatoire préalable recherché en l’espèce » (par. 43).

Il s’agit d’une nouvelle décision qui vient un peu plus éclairer le droit des victimes de pratiques anticoncurrentielles à accéder aux preuves issues de la procédure criminelle.

Benjamin Lehaire

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