La Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu une décision importante le 20 décembre 2017, dans laquelle elle se penche sur l’activité d’UBER.
La décision fait suite à une demande de décision préjudicielle adressée à la Cour par un tribunal espagnol. L’affaire se fonde sur un recours en concurrence déloyale intenté par les taxis espagnols contre UBER. La demande de la juridiction espagnole ne visait pas à dire si UBER faisait de la concurrence déloyale mais à qualifier le service d’intermédiation offert par la compagnie.
Le droit
Dans cette affaire, plusieurs textes européens étaient invoqués. Pour éviter l’effet soporifique d’une citation de ces textes, nous nous en tiendrons à résumer la substance du problème de droit.
En somme, si UBER est une entreprise du numérique, les dispositions européennes sur le numérique permettent de faire valoir la liberté d’établissement d’une entreprise dans l’UE sans embûche. Toute règlementation qui viendrait limiter cette liberté d’établissement serait contraire au droit l’UE, sauf à invoquer des raisons valables énumérées par le législateur européen. En revanche, si UBER est une entreprise de transport, alors le droit de l’UE permet aux Etats membres de limiter son activité par une règlementation, notamment subordonner l’accès à l’activité de service ou son exercice à un régime d’autorisation.
La décision
Dans sa décision, la Cour affirme « qu’un service d’intermédiation, tel que celui en cause au principal, qui a pour objet, au moyen d’une application pour téléphone intelligent, de mettre en relation, contre rémunération, des chauffeurs non professionnels utilisant leur propre véhicule avec des personnes qui souhaitent effectuer un déplacement urbain, doit être considéré comme étant indissociablement lié à un service de transport et comme relevant, dès lors, de la qualification de « service dans le domaine des transports », au sens de l’article 58, paragraphe 1, TFUE. Un tel service doit, partant, être exclu du champ d’application de l’article 56 TFUE, de la directive 2006/123 et de la directive 2000/31 ».
En résumé, selon le droit d’UE, comme UBER est un service de transport, le principe de libre établissement ne s’applique pas. En quelque sorte, c’est une limite apportée à la liberté du commerce qui comporte le droit de s’établir où on le souhaite.
Nous connaissons bien cette question au Canada puisque la Charte canadienne des droits et libertés énonce aussi un principe de libre établissement au paragraphe 6(2) : Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit :
- a) de se déplacer dans tout le pays et d’établir leur résidence dans toute province;
- b) de gagner leur vie dans toute province.
Commentaire
Il est important de signaler que cette décision, bien que majeure dans l’Union européenne, fait application du droit de l’UE et n’est pas nécessairement transposable au Canada.
Si UBER est un service de transport, la Cour se garde de dire que c’est un service de taxi. En effet, la directive 2006/123 précise dans son considérant 21 : « Les services de transport, y compris les transports urbains, les taxis et les ambulances, ainsi que les services portuaires, devraient être exclus du champ d’application de la présente directive ».
L’article 2, paragraphe d) de la directive énonce : « les services dans le domaine des transports, y compris les services portuaires, qui entrent dans le champ d’application du titre V du traité; »
Selon la Cour, il ressort de ces dispositions qu’UBER est un service de transport, mais ses conclusions proposent une définition qui n’existe pas dans la directive et qui ne qualifie par le service d’UBER de taxi.
Il en ressort la conclusion suivante : les Etats membres peuvent encadrer l’activité d’UBER sans pour autant lui appliquer la règlementation sur les taxis.
Si l’on transposait cette décision dans le contexte canadien, cette solution permettrait de valider la solution québécoise puisque le Québec a proposé un projet pilote avec des obligations allégées pour UBER. Cette solution a le mérite de maintenir l’Etat de droit et de favoriser l’innovation qui profite aux consommateurs.
Reste en suspens la question de savoir si UBER se livre à de la concurrence déloyale. Il s’agit là d’un autre sujet qui fera l’objet de prochains développements.
Pour les lecteurs intéressés, j’ai rédigé une chronique à ce sujet et accessible gratuitement à cette adresse : https://www.academia.edu/28765704/Chronique_Uber_et_la_concurrence_d%C3%A9loyale
Benjamin Lehaire