La Cour suprême du Canada autorise les actions collectives des acheteurs sous parapluie (« umbrella purchasers ») en droit de la concurrence, la Cour supérieure du Québec va aussi dans ce sens !

EXTRAIT

L’année 2019 aura marqué un tournant dans le courant jurisprudentiel relatif aux actions privées indemnitaires dans le domaine antitrust. Non seulement, au Québec, avons-nous eu à prendre connaissance de plusieurs décisions dans ce domaine , mais c’est l’épineuse question des acheteurs sous parapluie qui fut tranchée à plusieurs reprises, pour finir par la décision Pioneer Corp. c. Godfrey de la Cour suprême, rendue le 20 septembre 2019. Rappelons que depuis la célèbre trilogie de la Cour suprême sur les acheteurs indirects rendue en 2013, c’est la première fois que le plus haut tribunal du pays se prononçait sur les recours indemnitaires en droit de la concurrence. Cinq ans, c’est relativement peu considérant la rareté de ces litiges. Cependant, la récurrence de la question devant la Cour demeure importante si l’on considère le peu de litiges dans ce domaine. Selon nous, cette décision devrait être vue comme la suite de la trilogie de 2013. C’est bien un quatuor dont nous gratifie la Cour suprême, qui entonne d’une même voix que le droit d’action de l’article 36 de la Loi sur la concurrence (« LC ») est ouvert à toute victime. Après avoir reconnu le droit d’action des acheteurs indirects, les acheteurs sous parapluie se voient désormais autorisés à demander réparation. Il convient de rappeler ce que sont des acheteurs indirects et des acheteurs directs. Les acheteurs indirects sont en aval de la chaîne de distribution et se voient refiler le surcoût lié au cartel par les acheteurs directs. Par exemple, si un cartel porte sur un composé informatique présent dans un ordinateur et que le surcoût est de 5 $, ce montant est payé directement par le fabricant d’ordinateurs. Pour se dédommager de cette hausse, qui n’est pas nécessairement consciemment attribuée à un cartel dans ‘esprit du fabricant, il augmente de 5 $ le prix de l’ordinateur. Ainsi, c’est le consommateur, l’acheteur indirect, qui va payer le surcoût. La Cour suprême a reconnu en 2013 le préjudice de ces acheteurs indirects. La question demeurait de savoir si les « umbrella purchasers » ou acheteurs sous parapluie avaient eu aussi un droit d’action 5. Dans notre exemple, ces acheteurs seraient des consommateurs qui auraient acheté un ordinateur 5 $ plus cher, non pas raison d’un transfert du surcoût, mais en raison de l’augmentation des prix des ordinateurs sur le marché en général. Concrètement, le fabricant de leur ordinateur n’a pas acheté le composé auprès du cartel, mais l’aura payé plus cher en raison de l’existence du cartel sur les prix. On parle d’un effet d’ombrelle, d’où leur nom d’« umbrella purchasers ».

Notons que puisque cette décision a été rendue en common law, son intérêt peut paraître relatif à un juriste civiliste. Cependant, il serait faux de penser que cette décision est sans impact au Québec pour deux raisons. D’abord, elle a été rendue par la Cour suprême, ce qui lui confère une autorité nationale sur les tribunaux inférieurs. Ensuite, et par voie de conséquence, comme les tribunaux québécois se sont déjà prononcés sur cette question, la ratio decidendi, la motivation du jugement, peut nous éclairer sur le devenir de cette action au Québec. Certaines analogies avec le droit civil québécois doivent être opérées.

Extrait de mon commentaire paru aux Éditions Yvon Blais, dans Répères, Droit civil en ligne, EYB2019REP2861. Le texte est disponible en accès libre ici depuis la plateforme R-Libre de l’Université TÉLUQ. Notez qu’un commentaire original, rédigé spécialement pour le public français, est  disponible à la revue Lamy de la concurrence en janvier 2020. 

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Vous pouvez consulter la décision de la Cour suprême est accessible ici.

Depuis la publication de cette décision, une décision de la Cour supérieure du Québec a autorisé une action collective dans le cadre du cartel du pain (Govan c. Loblaw Companies Limited, 2019 QCCS 5469) .

On y apprend que, conformément à la décision Godfrey, les droits civils des parties ne sont pas atteints par l’application de la Loi sur la concurrence. On savait que l’article 62 L.C. le mentionnait et que ce point avait été critiqué devant la Cour suprême, laquelle avait écarté l’idée que la Loi soit un « code complet », c’est-à-dire un texte indépendant du reste du droit et seul applicable en droit de la concurrence. La Cour supérieure suit la Cour suprême et affirme que le droit civil québécois s’applique dès lors que l’action est fondée sur la responsabilité civile extracontractuelle. En matière de prescription, cela signifie que le délai de 3 ans et les conditions de sa mise en oeuvre en droit civil s’applique aux litiges impliquant un cartel.

Benjamin Lehaire

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